Mon quotidien de doctorant en musicologie

Pour illustrer toute la diversité des métiers et parcours du secteur musical, le Lareseau (réseau des professionnels de la musique) lance la série « Mon quotidien de… ». Découvrez la réalité du terrain à travers des témoignages variés.

Portrait

Nom : Nicolas Marty

Activité(s) : musicologue et compositeur, administrateur d’associations et de sites web

Sujet de thèse : Les conduites d’écoute – Temps, espace et forme dans les musiques acousmatiques

Site : http://www.nicolas-marty.com

  • Salut Nicolas, pour commencer, peux-tu te présenter ainsi que ton parcours ?

Salut ! En bref, je suis compositeur et musicologue. Je suis également secrétaire d’Octandre, association pour les musiques électroacoustiques basée à Bordeaux, bénévole pour plusieurs associations animalistes, et je pratique le taiji quan.

J’ai commencé la musique au lycée, je n’en écoutais même pas avant ça. J’ai découvert Cradle of Filth, les Red Hot Chili Peppers, puis Muse et Chopin. J’ai commencé à apprendre la guitare et le piano (surtout pour ma compagne, à vrai dire) avec un professeur particulier, Jean-Pierre Malardel, mais ce qui m’a le plus intéressé à ce moment-là, c’était ce qu’il m’apprenait sur l’harmonie : le cycle des quintes, les accords de substitution, les différents modes… Tout ce qui pouvait m’aider à composer, en fait !

Et donc, au lieu d’aller vers une école d’ingénieur, je me suis dirigé vers la musicologie à Bordeaux (en imaginant d’abord que c’était une « fac de musique »). J’ai suivi les ateliers de composition instrumentale (Jean-Yves Bosseur) et la classe de Musique Assistée par Ordinateur (Patrick Mellé) au conservatoire de Bordeaux pendant ma licence. À la fin de la licence, ayant découvert l’existence de la « musicothérapie », j’imaginais suivre la formation dispensée à Paris. Mais après un entretien, je n’ai jamais eu de réponse.

Vu que j’avais déjà déménagé, j’ai commencé un Master de musicologie avec François Madurell à l’Université Paris-Sorbonne, autour de l’idée d’une « narrativité » liée à l’utilisation de sons enregistrés dans la musique. C’est là que j’ai découvert les musiques électroacoustiques, avec surtout Trevor Wishart (son livre On Sonic Art) et Luc Ferrari (son cycle des Presque rien), puis avec un cours au Groupe de Recherches Musicales en deuxième année de Master, avec Évelyne Gayou et Diego Losa. Pendant le master, voyant bien que mon intérêt était dans l’étude de l’écoute et de la perception de la musique, François Madurell m’a conseillé de me former en psychologie, et j’ai donc étudié en Licence de psychologie avec l’Institut d’Enseignement à Distance de l’Université Paris-8.

Cela m’a permis de poursuivre en doctorat, toujours autour de l’écoute, mais plus spécifiquement centré sur l’idée que plusieurs écoutes divergentes peuvent s’appliquer à une même œuvre acousmatique pour l’analyser. En parallèle, j’ai complété des études en composition instrumentale (Jean-Louis Agobet) et en composition acousmatique (Christophe Havel et François Dumeaux) au conservatoire de Bordeaux. À la sortie de la thèse, j’ai eu la chance d’avoir un poste d’ingénieur de recherches pour six mois à l’Université de Bourgogne à Dijon, où je travaille avec Emmanuel Bigand et Philippe Lalitte.

 

  • Comment as tu décidé de te lancer dans un doctorat ? Est-ce que c’est un choix serein ?

Je ne dirais pas serein… Au début du master, je pensais retourner vers la musicothérapie dès que possible. Puis j’ai découvert que les recherches sur ce domaine étaient souvent biaisées et que les théories mises en avant sur l’efficacité pour telle ou telle application étaient parfois infondées. Luciane Beduschi, qui enseignait la méthodologie de la recherche en Master, m’avait déjà conseillé de poursuivre en thèse. Mais je savais bien que la situation des doctorants n’était pas facile… Finalement, voyant mes résultats de Master, j’ai pris confiance et j’ai pris un an pour préparer un sujet de thèse acceptable (qui a bien changé au fil de l’année suivante), pour éventuellement me permettre de trouver un financement.

 

  • Comment finance-t-on sa thèse ? Existe-t-il des contrats doctoraux comme dans d’autres domaines ?

Il y a des contrats doctoraux – très peu. Quand j’ai soumis mon dossier, si je me souviens bien, cette année-là, pour la musicologie à l’Université Paris-Sorbonne, nous étions une trentaine à concourir pour un seul contrat, que je n’ai pas obtenu. Il y a d’autres possibilités de financement pour des sujets qui ont des applications pratiques très claires ou des ancrages sur des territoires ou des époques spécifiques. Pour un sujet comme le mien, je n’ai rien trouvé.

Donc le financement, ça a été d’abord de travailler chez Picard Surgelés (j’avais commencé pendant le Master). Puis, les horaires du conservatoire devenant plus exigeants, il a fallu combiner l’aide de mes parents et les ressources de ma compagne – qui travaillait également chez Picard, avait les bourses sur critères sociaux, puis a pu avoir des financements pour sa thèse en psychologie. Je complétais ça avec les quelques revenus que je pouvais obtenir grâce à la Sacem et en donnant des cours d’informatique musicale à l’Université Bordeaux-Montaigne.

 

  • C’était quoi ton quotidien pendant ces années de thèse ?

C’était très varié, en fait. Je travaillais depuis Bordeaux, en étant inscrit à Paris. Donc j’allais à Paris généralement une fois par mois, pour les séminaires et les cours. Le reste du temps, j’alternais entre suivre les cours au conservatoire et faire les « devoirs », donner les cours à l’université, finir ma licence de psychologie, gérer la préparation des événements pour l’association Octandre, et – quand même ! – travailler sur la thèse.

Plus spécifiquement sur la thèse, il y a eu au début une longue période de préparation du sujet (l’année avant l’inscription puis la première année), où je passais la plupart de mon temps allongé sur mon canapé à lire des livres et articles pour faire l’état de la recherche. Le reste du temps, c’était pour écrire des articles ou préparer des conférences – puisque j’adorais ça, ça aidait à réfléchir pour la thèse et je voulais avoir un bon dossier pour préparer la qualification à la fin du parcours. Puis, j’ai commencé à écrire pour la thèse. D’après ce que j’ai compris, d’autres attendaient vraiment leur dernière année pour écrire. J’ai préféré écrire des chapitres, d’abord épars, puis en les regroupant, pour arriver finalement à la forme générale de la thèse (en reprenant tous les chapitres et en en supprimant pour que tout ça fasse sens).

Une journée-type consacrée à ça, ce serait… Lever à 7h30, je consultais mes mails en prenant le petit déjeuner puis j’y répondais (il y a beaucoup de mails quand on s’engage dans les domaines universitaires et associatifs). Toute la journée, et même en dehors des journées dédiées à ça, je répondais aux mails quand j’en voyais arriver, et je notais sur des brouillons les idées de schémas, de structures, de théories qui me passaient par la tête, pour les reprendre plus tard. Puis, lecture des quelques articles ou chapitres en surlignant et en annotant les passages intéressants, puis recopie sur l’ordinateur de ces passages et classement par couleur selon les thèmes que ça peut concerner. Déjeuner en regardant des séries, puis reprise du travail, soit de la même manière, soit en écrivant un chapitre ou un article. Dans ce cas, j’allais fouiller dans mes références classées par couleur celles qui concernaient ce que je voulais écrire, je les recopiais dans un fichier à part, je les triais selon la structure que je voulais et j’y ajoutais mes idées sous forme d’annotations ou de tirets. Ça permettait, après, de pouvoir rédiger l’ensemble l’esprit tranquille, sans être constamment en train de se demander où retrouver une référence ou quoi écrire après un passage en particulier. Je n’avais pas d’heure fixe pour arrêter de travailler, donc généralement c’était quand j’avais fini un passage ou un chapitre.

 

  • Quelles ont été les difficultés que tu as pu traverser ?

Une des difficultés a été le fait de travailler à domicile et sans horaires fixes, ce qui m’a fait me retrouver parfois à minuit en train de consulter mes mails pour la quinzième fois de la journée, juste au cas où, ou à travailler le dimanche aussi bien que les autres jours de la semaine. J’étais passé par le versant contraire pendant le master, où je programmais chacune de mes activités (même mes pauses) à la minute près pour chacun des jours de la semaine.

Travailler à domicile voulait aussi dire ne pas avoir beaucoup d’interactions avec les autres membres de l’équipe MUSECO, en particulier parce que mon sujet de recherche tel qu’il a évolué était assez éloigné des préoccupations centrales de l’équipe (une grande partie des gens y travaillant sur des questions de pédagogie), mais aussi peut-être parce que mes interactions par mail deviennent vite exclusivement professionnelles et efficientes, contrairement au face-à-face.

La plus grosse difficulté, je pense, a été le doute récurrent. Je doutais de mes compétences en tant que musicien (ayant commencé tard) mais aussi en tant que musicologue. Je découvrais régulièrement des écrits qui semblaient être des références sur des différents sujets, ce qui mettait en avant mes lacunes, et les retours sur mes présentations lors de séminaires n’étaient pas toujours formulés de manière bienveillante. De plus, j’avais des difficultés à présenter l’intérêt de mon travail face à un public qui ne connaissait que peu les musiques électroacoustiques.

Enfin, l’intérêt d’étudier différentes manières d’écouter et d’analyser des œuvres musicales me paraissait parfois dérisoire face aux activités de mes proches (ma sœur assistante sociale, ma compagne psychologue, des amis ingénieurs, etc.) et l’absence de rémunération n’aidait pas à ce que je me sente utile.

 

  • Quels sont les éléments motivants qui t’encourageaient à poursuivre ?

La passion, d’abord. En découvrant des choses que je ne connaissais pas, j’apprenais beaucoup de choses sur les idées et les pratiques, et j’adore apprendre. Il y avait aussi la gratification que donnaient les publications et les conférences – formant l’idée que ce que je disais pouvait avoir un intérêt pour d’autres que moi.

Sur la fin (qui a bien duré deux ans, sur les cinq années d’inscription), c’était aussi la perspective de terminer un gros travail de recherche et de critique, une grosse évolution de ma pensée qui demandait à être validée pour pouvoir donner lieu à une suite et à un avenir professionnel. Encore une difficulté, du coup : une fois les recherches faites, la thèse élaborée, une partie de la rédaction a été un peu pénible parce qu’elle ne m’apportait pas grand-chose de nouveau – mais il y avait quand même des moments sympathiques où la rédaction m’obligeait à repenser certains aspects, qui me remotivaient à poursuivre.

 

  • Tu as passé ta soutenance en mars dernier, comment se déroule cet ultime examen ? Comment t’es-tu senti ce jour là ?

Ce jour-là, j’étais finalement moins préoccupé par la soutenance elle-même que par la manière dont le traiteur allait pouvoir déposer ma commande. Il y avait aussi les habits : c’était première fois en six ou sept ans que je portais un costume… Je n’y étais pas forcément à l’aise.

Sur la soutenance elle-même, j’avais quand même une grosse appréhension concernant les questions du jury, vu que je ne savais pas exactement à quoi m’attendre. Deux membres font des « pré-rapports » qui permettent d’avoir une idée de ce qu’ils vont demander, mais il y en a toujours plus et il y a les autres membres.

Concrètement, le déroulement est simple : après une présentation type conférence (10-20 minutes), les membres du jury s’expriment chacun·e leur tour et le candidat peut répondre aux questions et aux commentaires, préciser des choses si besoin. Le plus dur à accepter à ce moment-là, c’est de répondre « je ne sais pas » plutôt que de s’embrouiller dans des explications vaseuses. Et puis, il y a l’attente avant le verdict… mais après ça, il y a enfin le pot de thèse, qui permet de relâcher un peu la tension.

 

  • Tu n’es pas un pur produit de la musicologie, tu es passé par une Licence en psychologie, comment te positionnes-tu par rapport à cette double casquette ?

Beaucoup de gens, en entendant parler de ces deux cursus, me demandent si je fais de la musicothérapie. En fait, pour être psychologue psychothérapeute, il faut au moins un Master de psychologie. La licence de psychologie, pour moi, c’était plutôt l’occasion de découvrir les méthodologies de la recherche scientifique en psychologie, notamment cognitive. Mais je dois avouer que ça me rassurait aussi sur la possibilité de poursuivre dans un cursus diplômant avec des perspectives de carrière, au cas où la thèse ne débouche sur rien.

 

  • De plus, tu ne fais pas seulement de la recherche en musicologie, tu es aussi compositeur ? Est-ce complémentaire, comment arrives-tu à gérer ces deux activités ?

J’ai essayé de garder ces deux activités bien séparées dans ma tête pendant toute la thèse. En caricaturant un peu, la recherche en musicologie est une activité scientifique, l’idée est donc d’éviter les biais en prenant une posture la plus détachée possible face à son objet d’étude ; la composition, au contraire, est hautement subjective, on peut y délirer sur ce qu’on veut, l’imaginer et le mettre en musique. Ce qu’on dit en tant que compositeur n’a pas à être vérifié, validé ou forcément vrai – ça peut être de la poésie, une manière de contextualiser ce qu’on donne à entendre. En tant que musicologue, il faut prendre plus de précautions si on ne veut pas se retrouver à porter des affirmations générales fondées uniquement sur nos préférences esthétiques ou nos opinions personnelles. C’est en tout cas comme ça que je vois les choses.

Quant à gérer les deux… question de temps !

 

  • Et après la thèse, quelles sont les perspectives ?

Il y a la qualification, pour pouvoir ensuite postuler sur les postes de maître de conférences dans les universités. Il y a aussi les postes d’ingénieur de recherche (c’est ce que j’occupe depuis avril et jusqu’à octobre au LEAD à Dijon), les postes portés par le CNRS, les contrats postdoctoraux en France ou à l’étranger, qui permettent d’avoir un travail pendant quelques temps et de se faire une expérience concrète dans le milieu…

L’enseignement à l’université peut se compliquer dans certains cas, puisque sans garantie de remplir les conditions demandées par l’université pour pouvoir être chargé de cours (par exemple, avoir une garantie de travailler au moins 900 heures dans l’année à venir), une fois la thèse terminée, impossible d’enseigner dans ce cadre. Ce sera probablement mon cas pour l’année à venir.

Concernant la thèse elle-même, dans l’idéal elle ne finit pas simplement à la bibliothèque, il y a la possibilité de la faire publier. C’est un gros travail de réécriture et de mise en forme, mais ça me parait important. Il y a également tout un ensemble de prix de thèse, mais comme pour les financements en général, la musicologie n’y est pas forcément la mieux représentée.

 

  • Est-ce que tu t’es senti suffisamment préparé à la vie de post-doctorant ?

Difficile à dire. J’ai eu la chance d’obtenir un CDD de 6 mois à peine sorti de ma thèse, et c’est une situation bien agréable. J’ai du mal à imaginer comment les choses se seraient passées si je n’avais pas eu ce poste (avec l’intérêt pour un nouveau domaine de recherches et de développement et le salaire qui va avec).

 

  • Quels conseils donnerais-tu aux étudiants qui hésitent à se lancer dans un doctorat en musicologie ?

Je ne sais pas si je suis le mieux placé pour donner des conseils… Tout dépend d’où vient l’hésitation, je pense. Si on attend du doctorat qu’il nous fournisse un emploi, il vaut mieux bien évaluer les possibilités concrètes avant de se lancer. On peut aussi le faire par simple intérêt, j’imagine – mais c’est beaucoup de travail, il faut le savoir à l’avance.

 

  • La petite question générale : quels sont d’après toi le ou les défis que doit relever le secteur musical dans les prochaines années ?

Je pense que, pour la musique comme pour beaucoup d’autres domaines, c’est la médiatisation de masse qui constitue le défi le plus important que je vois pour les années à venir. Il y a quelques années, passait à la télé un « jeune compositeur prodige » dont on entendait une composition jouée par un petit orchestre (et qui sonnait beaucoup comme un exercice dans le style de Mozart). Il y a quelques mois, je voyais passer un article dans un quotidien, découvrant la prise de son binaurale comme une invention révolutionnaire, sans savoir apparemment que cette technique a été développée il y a une cinquantaine d’années.

Régulièrement, des billets de blog aux titres accrocheurs sont partagés sur les réseaux sociaux, annonçant qu’en décodant le tronc d’un arbre on obtient une musique magnifique (diatonique, modale et tempérée, bien entendu) ; que les sons en mp3 sont jugés plus tristes que leur original non compressé (sans préciser que cet effet n’a été montré qu’avec des taux d’échantillonnage inférieurs à 112 kbps) ; que la musique permet aux patients atteints de la maladie de Parkinson de voir disparaitre leurs symptômes et autres « effets Mozart » (oubliant de mentionner, à côté de l’intérêt de ces découvertes, les biais et les limites des expériences y ayant mené).

Avec ce type d’accroches, un ensemble de croyances fondées sur des interprétations superficielles s’installent chez un certain nombre de gens. Concernant ce qui m’intéresse en premier lieu, c’est ce phénomène qui rend toujours plus difficile l’accès aux musiques « contemporaines », faisant passer la musique pour une jolie suite de notes, pour une manière de se laisser porter par des émotions, pour une médecine alternative, oubliant la possibilité que la musique puisse aussi servir, comme l’art en général, à développer ses pratiques et ses compétences perceptives et conceptuelles.

Merci Nicolas pour ton témoignage ! Nous espérons que celui-ci pourra aider les étudiants qui hésitent encore.

Vous pouvez aller visiter le site web de Nicolas pour en savoir plus sur ses publications et sa musique.

Comme chacune des interview du Lareseau, elle sera suivie de discussions en live avec les membres !

Vous souhaitez en savoir plus sur le quotidien de doctorant de Nicolas Marty ? Venez lui poser vos questions et discuter avec lui

jeudi 20 septembre à 19h30
sur le discord du Lareseau